29/06/2020 6 Minutes read StratégieTech 

L’improvisation en gestion de projet

Salim fait du théâtre d'improvisation depuis plusieurs années. A travers cet article il va essayer d'identifier les points communs utiles à la gestion de projet et à l'improvisation.

Transformé par l’improvisation

Je fais du théâtre d’improvisation depuis de nombreuses années, et bien que cette activité m’ait sans aucun doute aidé professionnellement au début – j’ai pris plus d’assurance pendant les réunions, écouté davantage, réagi plus rapidement – j’ai récemment eu le sentiment, qu’outre les compétences de base (écouter, parler à une foule, réagir, etc.), quelque chose de plus profond avait changé. Ma vision de mon métier avait changé. Je me surprends souvent à piloter un projet comme dans une scène d’improvisation. Les deux situations – gérer un projet et participer à une scène d’impro – semblent avoir de nombreux points communs.

Mon but, à travers cet article est d’essayer d’identifier ces points communs pour déterminer les compétences sous-jacentes qui sont utiles dans les deux situations.

Un aperçu de l’avenir

Une scène d’improvisation a un début, une fin et une structure d’histoire qui définit ce à quoi elle devrait ressembler une fois écrite par les acteurs. Il en va de même pour un projet : vous savez à quoi doit ressembler sa structure, mais vous ne savez pas à quoi il ressemblera une fois terminé.
Parfois, dans une scène d’improvisation, il est intéressant de tenter d’imaginer la fin de la scène du point de vue du public – quelle impression globale de la scène lui restera-t-il après la fin ? – afin de savoir quelles idées proposer sur scène. Cela peut également être une pratique utile dans la gestion de projet. Imaginez la fin de votre projet avant de vous lancer dans les toutes premières tâches.

Vous n’êtes pas seul !

Vous entrez sur scène et le public vous fixe en attendant ce que vous allez dire ou faire. Heureusement, vous n’êtes pas seul, votre partenaire de scène est là et vous êtes dans le même bateau. Vous avez même des partenaires cachés dans les coulisses, pour venir vous aider. Lorsque vous entendez un improvisateur dire sur scène “J’aimerais que mon frère soit là”, vous pouvez être sûr que ce frère apparaîtra dans les secondes qui suivent.

C’est la même chose dans votre projet. Vous êtes sur la même scène que les personnes avec lesquelles vous interagissez au quotidien, et vous avez des collaborateurs plus lointains (des experts par exemple) qui ne sont pas toujours présents, mais qui vous aideront volontiers si vous en avez besoin.

En improvisation comme en gestion de projet, prenez soin des personnes qui travaillent avec vous, faites-leur confiance, et n’hésitez pas à leur demander de l’aide si nécessaire, elles seront là. Et surtout, profitez du voyage que vous effectuez ensemble.

Le hasard

En bref : il est bon pour vous, mais à petites doses. Vous travaillez avec d’autres personnes, et elles ont un point de vue différent, une personnalité différente, une façon différente de penser, une façon différente de travailler, une vie différente. C’est normal que vous ne soyez pas toujours en phase avec elles. Mais le but est de trouver un terrain d’entente. Et cela favorise les solutions créatives et innovantes.

Comme le dit Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du livre “Antifragile”, il y a des choses fragiles qui se cassent au moindre imprévu. Il y a des choses plus rigides, qui se cassent quand même, mais qui ont besoin d’une plus grande force pour être détruites. Et enfin, il y a des éléments anti-fragiles qui bénéficient d’une petite part de hasard. Plus votre projet est important, plus votre équipe est diversifiée, plus votre architecture technique est complexe, et plus vous allez être confronté au hasard. Ne soyez pas rigide, ne soyez pas fragile, soyez anti-fragile.

Un chemin incertain

Dans la mesure où le hasard joue un rôle, vous n’aurez pas de vision précise du chemin qui vous attend. Avancez lentement, mais sûrement. Cela ne signifie pas que vous ne devez pas savoir où se trouve votre but, mais accordez-vous une certaine liberté dans vos actions. Cependant, ceci n’est pas une invitation à réaliser des changements inattendus, restez sur ce “chemin incertain”.

Keith Johnstone – célèbre improvisateur britannique et auteur de “Impro” – parle du “cercle des attentes” : les nouvelles idées que vous suggérez en étant sur scène doivent s’inscrire dans le cercle des attentes du public. Cela peut très bien rester original et surprenant, mais le public devra penser que “c’est intéressant et parfaitement logique” au lieu de “c’est tiré par les cheveux”. En allant trop loin dans vos idées, vous perdrez le public. Vous serez surpris de voir combien de fois une simple étape change le sens de toute une scène.

Les erreurs

Elles se produiront. Ceci est lié au degré de hasard que présente votre projet. Tout improvisateur sait que certaines soirées de spectacle sont particulièrement réussies, d’autres non, sans raison évidente. Il y a tout simplement trop de facteurs aléatoires que vous ne pouvez pas contrôler. Il peut s’agir de votre état d’esprit ce soir-là, de la réactivité du public, le style d’improvisation de vos partenaires ou tout ce qui a été improvisé sur scène, pour n’en citer que quelques-uns.

Le conseil de l’improvisateur est donc le suivant : chérissez les erreurs. Tout le monde en fait, ça fait partie du jeu. Vous vous mettez en danger dans cet environnement incertain, vous faites face à l’inattendu. Et si vous n’échouez pas de temps en temps, alors vous travaillez peut-être dans un environnement que vous connaissez parfaitement et qui n’offre pas autant d’imprévu que vous le pensiez.

Si vous faites des erreurs – et si vous savez que vous en faites – alors vous faites aussi des progrès. Et d’un autre côté, les erreurs peuvent favoriser l’innovation. En improvisation, reconnaître un mot qui a été prononcé involontairement sur scène – si vous dites que vous demandez conseil au lapin plutôt qu’au rabbin – peut conduire à de grandes scènes. Il suffit de les considérer comme une partie intégrale de la scène et de jouer comme si le mot avait été dit intentionnellement.

Essayez de ne pas faire d’erreurs, et donc une formation et un apprentissage constants sont importants, mais sachez que vous en commettrez, et que c’est normal.

Soyez prêt et prenez du recul

Avant une scène d’improvisation ou avant une réunion importante, préparez-vous. Faites circuler le sang dans votre cerveau et votre corps. Soyez conscient de votre environnement. Concentrez-vous sur votre voix, votre intonation, votre posture. N’en faites pas trop, vous ne voudriez pas faire semblant, vous voulez simplement coordonner votre corps et votre esprit.

Vous n’êtes pas obligé de toujours rester sur scène. Ressentez la scène. On a besoin de vous ? Votre intervention va-t-elle améliorer le récit ? Si c’est le cas, allez-y, sinon, attendez encore un instant.

Soyez prêt à intervenir à tout moment, mais sachez que la plupart du temps, vous n’aurez pas à le faire.

Posez le marteau, mais imaginez la maison

Comme dans toute passion, vous êtes toujours en train de chercher, de découvrir de nouvelles écoles de pensées, de vivre des moments révélateurs, ces fameux “Ah!”.

La dernière fois que j’ai vécu un de ces moments, c’était lors d’un atelier avec l’improvisateur Australien Nick Byrne. Au cours de cet atelier, il nous a demandé d’imaginer que nous étions sur scène en train d’improviser avec une personne importante pour nous (un ami proche, un amant, un membre de la famille…). Quand vous faites ce travail, vous constatez que vous n’avez pas à faire beaucoup d’efforts pour mettre en pratique vos compétences d’écoute déjà acquises. Vous vous souciez de votre partenaire, et vous êtes donc naturellement attentif à tout ce qu’il dit ou fait. Vous verrez donc que chaque détail vous aidera à tenir compte de ses besoins lorsque vous improviserez.

Bien entendu, cela ne signifie pas que vous n’avez pas besoin des techniques de base pour improviser (comment écouter, raconter une histoire, créer un personnage, parler à un public, etc.), ce sont toutes des compétences très importantes que vous devez apprendre et continuer à pratiquer. C’est pour dire qu’une fois que vous avez appris un outil et que vous vous êtes formé à l’utiliser, vous pouvez l’oublier et vous concentrer sur l’ensemble. Posez le marteau et focalisez-vous sur la maison. Votre cerveau saura inconsciemment que le marteau est bien là et l’utilisera par instinct lorsque ce sera nécessaire. C’est ce que Daniel Kahneman appelle le “système 1” dans son livre “Les deux vitesses de la pensée”, c’est la méthode sur laquelle les joueurs d’échecs s’appuient pour prendre des décisions rapides une fois qu’ils ont appris et maîtrisé les règles des échecs.

Cela s’applique à l’improvisation, mais aussi à la gestion de projet. Vous devez apprendre les méthodes de gestion d’un projet : comment dessiner votre diagramme de Gantt, comment utiliser un graphique de burndown, comment évaluer les risques et suivre les différentes étapes, comment diriger un atelier… Mais une fois que vous êtes suffisamment confiant avec vos acquis et que vous les avez utilisés plusieurs fois, ils font désormais partie de votre système 1. Il est temps de vous en détacher et de vous focaliser sur une vision globale, mais aussi sur votre compassion – une véritable compassion – pour les autres membres du projet. Découvrez leurs inquiétudes, admirez leur génie, partagez leur bonheur et faites confiance à votre esprit pour vous donner accès au bon outil au bon moment.

En conclusion

La gestion de projet est un outil qui permet d’aider les individus à travailler ensemble. Alors peut-être qu’une fois avoir appris quelques astuces des plus expérimentés (par exemple en apprenant la méthodologie Scrum), nous pourrons nous concentrer sur ce qui compte vraiment : les personnes qui travaillent ensemble. Faites de votre projet un lieu sûr pour tout le monde, faites en sorte que chacun se sente utile, digne de confiance, que ces personnes soient appréciées et confiantes pour communiquer avec les autres. Prenez soin de vous et de tous les autres. Le succès du projet en dépendra.

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